Les Françaises assument-elles ?

Ce qui est certain, à première vue, c’est que, en France, les femmes sans enfant n’ont pas plus d’étiquette hostile que celles qui en ont et qui reprennent rapidement un travail à plein temps !!

Seuls quelques ‘conservateurs’ osent encore y voir un problème identitaire. Un bémol cependant : « si l’identité des femmes d’aujourd’hui n’est plus fondée exclusivement sur la maternité, l’enfantement, on constate que les femmes d’aujourd’hui ont plus de mal à se livrer sur le sujet que les femmes interrogées il y a 30 ans ». C’est en tout cas, le constat d’Edith Vallée. Les femmes de l’après-révolution sexuelle, portées par cet enthousiasme, cet éclatement des valeurs autour de la sexualité, ont plus facilement ouvert leur porte que celles des femmes du début des années 2000. « Non pas qu’elles cherchent à se cacher ou à éviter le sujet, mais les faire s’exprimer sur cet aspect délicat de leur vie de femme est apparemment moins simple qu’on ne pourrait le croire ».

Une Française sur dix n’aura pas d’enfant au terme de sa vie. Pour certaines, on l’a vu, ce n’est pas un vrai choix. Elles estiment ne pas avoir trouvé le bon compagnon, ont laissé le temps filer ou vivent au sein d’un couple infertile et n’ont pas pu ou voulu adopter. Les femmes qui décident de ne pas devenir mère seraient donc très peu nombreuses.

« Il existe une pression collective qui incite les couples à avoir des enfants », estime Arnaud Régnier-Loilier[1]. « Le non-désir d’enfant semble en effet marginal dans une France qui affiche un taux de fécondité record en Europe (deux enfants par femme) et un nombre de naissances croissant (830 900 bébés en 2006).  Les femmes sans enfants sont généralement assez diplômées. Le désir d’enfant s’impose plus vite pour les femmes qui peinent à s’inscrire sur le marché du travail. La maternité leur permet d’acquérir un statut, celui de mère de famille. Les femmes cadres ont d’ailleurs moins d’enfants que les autres ».

Mais pourquoi ne pas en vouloir du tout ? 

« Pour bien profiter de leur vie de couple – voire pour ne pas le mettre en danger – ou pour ne pas entraver leur carrière » répond le chercheur.

Quand elle dit « Le ‘non-désir d’enfant’ n’existe pas, je n’y crois pas. Toutes les petites filles disent que quand elles seront grandes, elles auront des bébés. Ensuite, beaucoup, pour des raisons diverses, liées à leur carrière, à leur compagnon (pas le bon, pas au bon moment) laissent passer le temps, mais ensuite elles regrettent », Monique Bydlowski ouvre un autre débat.

Je ne partage pas son avis sur ce dernier point : les femmes sans enfant de plus de cinquante ans que j’ai interviewées, m’ont dit avoir une vie bien remplie, se sentir libres, avoir pratiqué des IVG justement pour ne pas assumer la charge d’un enfant, et surtout, ne rien regretter.

M. Bydlowski appuie son propos : « toute la douleur du monde se déverse dans les consultations pour infertilité ». La tentation est grande, ici, d’opposer les femmes qui peuvent avoir des enfants à celles qui ne le peuvent pas. Il est bien normal que ces dernières souffrent si elles désirent un enfant. Mais entre celles qui ne veulent absolument pas d’enfant, et qui s’arrangent pour ne pas en avoir, et celles qui en veulent malgré leur infertilité, il y a toutes celles pour qui la vie se charge de mettre son petit grain de sel perturbateur.

Ne généralisons pas, une fois encore. Il y a des femmes qui regrettent peut-être de ne pas en avoir, comme il y a des femmes qui, avec quelques années de recul, finissent pas regretter d’avoir eu recours à l’IVG. Mais il y en a qui ne regrettent ni l’un, ni l’autre.

Édith Vallée évoque, elle, la passion qui remplit une vie (amour fusionnel, engagement artistique, humanitaire), la peur de transmettre un mal-être, le manque d’opportunités…

« Mais dire que l’on n’a pas eu le temps de faire un enfant ou que l’on n’a pas trouvé l’homme idéal révèle un non-désir d’enfant non assumé. Une vérité trop difficile à admettre dans notre société », conclut la psychologue.

Je ne rejoins pas les conclusions d’Edith Vallée, qui suggèrent qu’aucune femme n’assume vraiment le fait qu’elle n’ait pas d’enfant. Certaines femmes n’ont pas d’enfant car elles n’en ont réellement jamais voulu, et d’autres n’auraient pas été contre l’idée d’en avoir à conditions de connaître cet homme idéal. Estimer ne pas l’avoir rencontré est à mon sens une bonne raison de ne pas avoir d’enfant, ou disons, une raison nécessaire et suffisante.

En matière de maternité, la réponse de la société face aux femmes sans enfant dépend de la culture, d’une part, et est relativement liée à la manière dont la femme annonce qu’elle n’a pas d’enfant, d’autre part : si elle affiche ouvertement une irritation face aux enfants, les mères ayant du mal à entendre cela, risquent de se sentir agressées et de « contre-attaquer ». En restant discrète sur ses motifs, elle laisse planer un doute : elle a peut-être un problème de stérilité, elle n’a pas (encore) rencontré l’homme qui convient, ou elle attend d’avoir une situation plus stable. Si elle annonce qu’elle aime malgré tout les enfants, la pilule passe encore mieux, sans jeux de mots.

Pour clore ce paragraphe, il ne s’agit pas de prôner la non-maternité, pas plus que la maternité d’ailleurs. À chaque femme son destin, réellement « choisi » ou non, parfaitement assumé ou non.

Entre les femmes qui veulent un enfant à tout prix, quitte à passer par le corps médical, une mère porteuse ou l’adoption, et celles qui préfèreraient se faire ligaturer pour être certaines de ne jamais tomber enceinte, il y a tout un panel de situations toutes aussi singulières les unes que les autres, empreintes de toutes les ambivalences liées à la maternité. L’essentiel pour une femme ne souhaitant pas devenir mère est de se mettre à l’écoute des nombreux fondements individuels qui la motivent. Si ce choix est définitif, il sort de la norme, certes, mais au fond, pas plus que celui d’une grossesse désirée à seize ans.


[1] Sociologue et chercheur à l’Ined (Institut national d’études démographiques)

Les carriéristes d’Allemagne

En Allemagne, plus ‘proche’ de la France dans sa tolérance, il en est tout autrement : il y est difficile de concilier famille et travail. Un tiers des femmes, après des études supérieures, renonce à la maternité et au total, une Allemande sur cinq environ n’aura jamais d’enfants selon l’Institut national d’études démographiques (INED). De plus en plus d’universitaires allemands restent sans enfant.

C’est ce que confirment Nathalie Lacube et Blandine Milcent dans leur article paru dans La Croix du 15/06/2005 et dont voici des extraits[1] :

« … ] Outre-Rhin, les infrastructures d’accueil des petits sont insuffisantes et mal adaptées aux horaires des mères travaillant à plein-temps (la plupart des crèches ou des écoles ferment très tôt), ce qui n’incite pas à avoir des enfants. Mais, tous les experts s’accordent à dire que c’est plus la conséquence que la cause d’un mode de fonctionnement social : dans leur grande majorité, les Allemands estiment mal venu qu’une mère de famille travaille, surtout à plein-temps, car cela est considéré comme nocif au développement affectif et psychologique de sa progéniture. À la différence de la France où on cherche une solution de garde au plus vite pour son enfant, en Allemagne, on redoute au contraire de briser sa personnalité, si on le socialise trop tôt » explique Béatrice Durand, auteur du livre Cousins par alliance, qui compare les deux pays. « Outre-Rhin, on a la phobie d’une éducation à la dure, qui rappelle le passé nazi. Il s’agit très clairement de ne pas répéter les mêmes erreurs. ]…[ Du coup, la fonction parentale fait peur. Devenue aussi difficile à remplir qu’un sacerdoce, culpabilisante, elle ne peut être choisie qu’après une longue réflexion. Avoir un enfant en Allemagne n’est plus un acte simple et naturel de la vie, surtout au sein des classes privilégiées. C’est une mission à laquelle certains préfèrent se soustraire. Les plus courageux ont un, voire deux enfants, avant de s’arrêter là, épuisés.

]…[ Le sujet reste tabou, et très peu de gens osent exprimer leur volonté de ne pas avoir d’enfants, notamment en France, où il n’y a pas eu d’enquête sociologique majeure sur leurs motivations, dont certains nient même l’existence. Le “non-désir d’enfant” n’existe pas, je n’y crois pas. Toutes les petites filles disent que quand elles seront grandes, elles auront des bébés. Ensuite, beaucoup, pour des raisons diverses, liées à leur carrière, à leur compagnon (pas le bon, pas au bon moment) laissent passer le temps, mais ensuite elles regrettent », estime Monique Bydlowski, psychiatre, qui rappelle que « toute la douleur du monde se déverse dans les consultations pour infertilité ». ]…[

Toutefois, en France toujours, ceux et celles qui renoncent à enfanter restent très rares, car ‘l’enfant est devenu une valeur importante dans une construction narcissique de l’image de soi. La société porte, sur les femmes qui n’en ont pas, un regard peu tendre’, ajoute Sophie Marinopoulos. Selon les idées reçues, on les accuse souvent d’être égoïstes (« ma carrière, mes voyages, mes loisirs, ma beauté… « ), immatures (« c’est trop de responsabilités à assumer ») ou on les soupçonne de cacher des traumatismes, de lourdes blessures d’enfance. ]…[. »


[1] Source internet : http://www.la-croix.com/parents-enfants/article/index.jsp?docId=2226204&rubId=24300

Les Zitellas de Sicile

En France, la société admet relativement qu’une femme n’ait pas d’enfant. Si le spectre de la culpabilité rôde près d’elle, le plus souvent c’est lié au fait qu’elle n’a pas choisi et/ou qu’elle a un peu de mal à l’assumer. Ce sentiment de culpabilité apparaît le plus fréquemment au cours de rencontres avec d’autres femmes devenues mères ou souhaitant ardemment le devenir. Si les femmes sans enfants suscitent parfois méfiance, admiration ou irritation, elles laissent le plus souvent leur entourage indifférent ou embarrassé. Je le redis, elles ne sont toutefois ni des parias, ni des monstres de foire. Ce n’est pas le cas de très nombreux pays, européens même, dont l’Italie, pays frontalier qui plus est.

Voici en effet, une étude de Sandra Carmignani[1]. Son rapport intitulé « Les femmes célibataires de Gangi,
 ou quand la marge côtoie la norme« , fait un état des lieux du regard sur les femmes non mariées et sans enfant de ce village Sicilien, dont voici un court extrait pour le moins surprenant :

« Les femmes interviewées avec ou sans enfants font l’unanimité lorsqu’elles définissent ce que devrait être une femme et son rôle dans la société. Il apparaît, pour elles, évident qu’une femme sans enfants est une femme incomplète, ceci en insistant unanimement sur la naturalité reproductrice de la femme. Une nette hiérarchie se décèle dans les discours sur la position sociale de la femme par rapport à son statut social et privé. Une femme devrait idéalement être fiancée, puis mariée et ensuite avoir des enfants.

Une femme mariée sans enfants arrive au second rang de l’accomplissement social et surtout “naturel” de la femme. Une femme non mariée, et donc sans enfants, est reléguée dès lors, au dernier rang. La zitella est le terme péjoratif pour désigner ces femmes qui ont presque ou déjà passé l’âge de se marier. ]…[ Ce mot, considéré comme une insulte, n’est jamais prononcé devant l’une d’elles. L’âge limite évalué pour un mariage est assez variable, mais généralement, il se situe à trente ans où la situation devient plus qu’urgente ; au-delà de quarante ans, celle-ci est quasiment désespérée. La condition de vieille fille est loin d’être enviée et les propos tenus à leur sujet dénotent un mélange de gêne, de pitié et d’ironie.

Dans une société où la figure de la mère est hautement valorisée, où un couple ne devient famille que lorsque advient la naissance d’un enfant, la zitella, dans ces conditions, ne peut que déranger et susciter un malaise. C’est ce qui se dégage de discussions autour, notamment, du sujet de l’infertilité et de l’adoption. Ces femmes sont décrites comme “des femmes incomplètes, des moitiés de femmes, non réalisées, vides, des vies gâchées, une condition malheureuse, contre-nature”.

Considérées de cette manière, les zitelle ne sont pas dupes, et le savent évidemment. Elles savent aussi que le respect qu’elles ne reçoivent pas de la société qui les entoure dépend quasi exclusivement de l’absence de mari et du non-accomplissement de la maternité. ]…[ Paradoxalement, ces femmes semblent, tout de même, tenir à leur indépendance, et avouent qu’elles auraient du mal à se retrouver dans la vie conjugale quotidienne. Toujours par un discours très critique et probablement relevant d’un processus de rationalisation de leur condition, les femmes célibataires rencontrées comparent sans cesse les couples et les familles qui les entourent avec leur idéal et y retrouvent rarement les occasions de regretter leur choix ou position.[2]« 


[1] Anthropologue culturelle et sociale à l’Institut de sociologie et d’anthropologie de l’Université de Lausanne

[2] http://www.ethnographiques.org/2003/Carmignani.html#1 Sandra Carmignani “ Les femmes célibataires de Gangi, 
ou quand la marge côtoie la norme ”

La culture rentre-t-elle en ligne de compte ?

La liberté de choisir d’être mère concerne essentiellement celui des Françaises d’origine, par opposition, par exemple, aux femmes d’origine africaine, dont la culture familiale et basée sur le mariage, la fondation d’une famille, nombreuse de préférence. Pour autant, ne pas faire d’enfant, même dans les milieux intellectuels, n’est pas toujours accepté avec la plus grande indulgence. Si la pilule a permis ce choix, la société ne l’a pas encore totalement plébiscité.

 « Aujourd’hui, ce choix est toujours mal vu » regrette Édith Vallée, 60 ans, psychologue de métier et qui a écrit deux livres sur ce thème, à 30 ans d’intervalle. C’est la réponse immédiate de cette femme qui n’a pas d’enfant. Trente ans après l’autorisation de la pilule contraceptive, un fossé sépare les deux époques. Elle précise : « Dans les années 1970, refuser d’être mère était un discours féministe, assumé et légitime, même s’il provoquait un tollé. Aujourd’hui, la pression est plus insidieuse. Il est de bon ton de ne pas contester aux femmes le droit de mener leur vie à leur guise, mais cette tolérance n’est qu’apparente. Elle s’accompagne d’une condamnation : il est impossible d’être épanouie sans enfants. On s’imagine que ces femmes sont forcément dépressives ».

Je dirais aussi, déviantes, égoïstes, carriéristes, etc.?!

Ne pas se soumettre à cette loi biologique qui veut que la femme fasse des enfants, revient à braver la puissance divine. C’est une offense suprême que d’ignorer le Créateur qui a fait le mâle et la femelle dans presque toutes les espèces. Notons que chez les loups, seul le couple alpha, constitué du mâle dominant et de la femelle dominante de la meute, a le privilège de s’accoupler pour assurer la survie de l’espèce. (Les autres mâles et femelles seront « abstinents » jusqu’à ce que l’un des mâles devienne le mâle dominant à son tour ou que l’une des femelles devienne dominante à son tour).

Mais nous ne sommes pas des loups. La vie en société des Humains s’organise différemment, autour d’une culture, propre à chaque pays, région, religion, etc. La femme et l’homme sont « censés » vivre ensemble un jour pour fonder une famille. Alors, ces femmes qui ne veulent pas d’enfants ? Quel est donc leur problème ? Une anomalie médicale les contraindrait-elles à ne pas s’y risquer ? Une malformation ? Un organe déficient ?

Non. Mais enfin !… toute femme féconde ne saurait se dérober à ce que la Nature elle-même a tracé pour elle : le sillage de la procréation, la voie de l’épanouissement maternel, la joie de porter la vie pour la donner ensuite dans une merveilleuse délivrance…

Faire des enfants, en adopter, les aimer, les abandonner … ou pas!

Revoilà cette question de l’instinct maternel. Si l’amour venait avant la naissance ou juste après, ça se saurait. Et si nous cessions tout simplement de présupposer les choses ? Cela nous éviterait de les exiger.

Certains parents par exemple se trouvent dans l’incapacité d’aimer leurs enfants, parce qu’ils ne peuvent pas leur donner ce qu’ils n’ont pas eux-mêmes, reçu.]…[ Malheureusement, les adultes qui ont été, dans leur enfance, privés d’amour n’ont pas tous – loin s’en faut – la conscience du manque dans lequel ils ont vécu. Une telle prise de conscience supposerait en effet qu’ils aient pu, enfants, comparer leurs  » conditions affectives d’existence” à d’autres et réaliser leur particularité. 

Faire des enfants, les aimer, les élever, un programme chargé, certainement gratifiant, mais souvent difficile, semé de doutes, d’angoisses, de fatigue, de frustrations ou de non-reconnaissance. C’est ce que cherche à démontrer Corinne Maier, dans son livre « no kid, 40 raisons de ne pas avoir d’enfant ». Seule une mère peut se permettre de dire ce qu’elle dit, comme un africain pourrait dire du mal des africains, justement parce qu’il l’est lui-même ! Du coup, elle fait exploser tous les clichés autour de la famille heureuse, de la joie d’être parent, qu’elle considère comme un sacerdoce. Loin des exhortations publicitaires qui mettent en valeur l’enfant comme projet et la famille, comme accomplissement conjugal ultime, son livre est une invitation jubilatoire à bien réfléchir avant de se décider.

Bien au contraire, pour elle,  « l’enfant devient une entrave, une source d’ennuis, un obstacle à la sexualité du couple. Il devient l’ennemi numéro un”.

Si l’enfant est l’ennemi numéro un, n’est-ce pas parce qu’il est devenu objet ? S’il était considéré comme un sujet, ne serait-ce pas une grâce de s’occuper de lui ?

Quand on oppose à Corinne Maier que rien n’est plus bouleversant qu’un regard d’enfant, elle répond sans complexe qu’aucun regard d’enfant ne l’a bouleversée autant qu’un bon film tel que « la dolce vita”. Politiquement incorrecte, ne dirait-elle pas tout haut ce que certains penseraient tout bas. Mais qui ? Des personnes qui ne veulent pas d’enfant et se servent de ces constats pour se justifier ou des parents excédés qui ont l’impression d’avoir fait des enfants malgré eux, sous la pression d’une société en mal de bonheur ?

Faire ou ne pas faire d’enfant ? Je repose la question du préambule. Si cela donne l’impression de tourner en rond, c’est certainement parce qu’une poule n’y retrouverait pas ses poussins !

Longue est la liste des cas de figure rencontrés dont voici une énumération non exhaustive :

  • Ceux qui ‘choisissent’ d’en faire et qui en sont heureux.
  • Ceux qui ‘choisissent’ d’en faire et qui n’en sont pas si heureux qu’ils l’avaient imaginé.
  • Ceux qui se font piégés mais qui assumeront pour ne pas affronter le spectre de la culpabilité.
  • Ceux qui doivent avoir recours à l’avortement contre leur gré, ou qui s’en réjouissent.
  • Ceux qui ne peuvent y avoir recours à leur plus grand désarroi, ou qui s’en réjouissent.
  • Ceux qui font appel au corps médical pour en avoir (F.I.V.) ou pour éviter d’en avoir (ligature, vasectomie).
  • Ceux qui adoptent des enfants.
  • Ceux qui les abandonnent.
  • Ceux qui en font un trafic.
  • Ceux qui ne les abandonnent pas mais les maltraitent.
  • Ceux qui n’ont pas d’enfant du fait des aléas de la vie.
  • Ceux qui ‘choisissent’ de ne jamais en avoir….

Etc.

Un mélange de situations, de raisons d’en avoir ou non, un équilibre si difficile à trouver entre soi et soi-même, soi et l’autre, entre raisons et sentiments, entre contraintes et libertés.

Alors peut-on réellement parler de choix ? Et à quoi tient-il finalement ? Quand on sait que la société a toujours posé un regard méfiant et critique à l’encontre de toute forme de marginalité.


L’amour envers les enfants suffit-il ? Trop de lucidité peut nuire…

Au final, on trouve de tout sur la balance de la maternité, les plateaux les plus lourds correspondants aux situations les plus extrêmes :

D’un côté, des femmes devenues mères, perdues dans un océan de surinformation, qui doutent de tout et n’osent dire qu’elles sont fatiguées, exténuées ou que, parfois, elles jetteraient volontiers leur môme par la fenêtre ! Quelle « bonne » mère oserait exprimer une telle horreur ?

De l’autre, des femmes sans enfant qui renoncent quelque fois à exposer trop ouvertement leurs doutes, leurs craintes et leurs nombreux questionnements pour ne pas s’entendre répondre : « tu te poses trop de questions ». Où commence le « trop » ? Et quel mal y a-t-il à se poser des questions ?

Avoir conscience de la responsabilité n’est pas une partie de plaisir non plus, car elle peut faire basculer dans le refus de la maternité, au prix d’un tiraillement. Objectivement, même si cela devient un frein pour se lancer, au fond, ce n’est pas grave.

La mère des trois enfants dont j’ai parlé dans l’article sur l’instinct maternel (celle de la pouponnière) me disait, à propos de la conscience et de la responsabilité :  « En commençant à faire des enfants à l’âge de vingt ans, je ne me rendais pas compte de ce qui m’attendait, et heureusement ! Sinon, je ne sais pas si j’en aurais fait ! Je me suis lancée, comme ça, j’étais jeune et inconsciente ! Je n’ai pas été une très bonne mère, je le sais, mais je crois que mes enfants s’en sortent très bien dans la vie, quand je les regarde, je les trouve équilibrés, épanouis et plutôt débrouillards ! »

Jusqu’à cette rencontre, il me semblait utile, voire primordial, de se poser des questions sur nos aptitudes et nos potentiels avant de s’embarquer dans la maternité, puisqu’une vie autre que la nôtre en dépend. Des questions, je m’en suis posée…. Longtemps !

Combien de fois ne m’a-t-on pas dit : « cela ne sert à rien de te triturer la tête avec des questions, en tant que parent, on fait toujours des erreurs, de toute façon ! ». Une amie, qui a aussi eu trois enfants, et qui m’avait souvent entretenue sur ses « fautes » d’éducation, avait fini par lâcher prise avec cet aspect de la parentalité. Après des années de crainte liée aux conséquences possibles de ses « erreurs », elle a fini par accepter l’idée que l’éducation n’était pas une science exacte et que tant qu’elle faisait de son mieux, elle n’avait pas à culpabiliser. Faire des erreurs, ne pas être « à la hauteur », cette question d’être potentiellement une « mauvaise mère » taraude la plupart des femmes sans enfant que j’ai croisées et m’amène sur une piste : n’y a-t-il pas derrière cela une exigence de perfection, inaccessible et qui, du coup, contraint la femme à ne pas prendre ce risque de la non-perfection ?

Que faut-il en conclure ? Que trop de conscience nuit ? Trop de « lucidité » représente-t-il un blocage rédhibitoire ? Ne pas faire d’enfant signifie-t-il parfois éviter la rivalité avec l’absolu ?

Quoiqu’il en soit, ne pas faire d’enfant tant qu’on ne se sent pas prêt, peut être un geste d’amour. Et si on ne se sent jamais prêt ? Ou bien, si on se sent prêt trop tard ?

Une femme de vingt ans qui fait des enfants « par inconscience » (comme le témoignait celle qui a fait ses trois enfants avant vingt cinq ans), et une femme de trente cinq ans qui n’en fait pas, par peur d’être imparfaite, on le voit, la vie prend les chemins qu’elle peut !

Pour ma part, j’aime les enfants, ceux des autres, mais je reste convaincue que si j’en avais eu moi-même à  25 ans, à 35 ou 40 ans, être mère aurait été une épreuve longue et douloureuse plus qu’une source de joies et de plaisir. Les doutes et questions qui reviennent souvent dans les échanges avec d’autres femmes sans enfant sont du même ordre :

  • Je ne sais pas si j’aurais supporté que mon enfant soit comme ceci ou comme cela. Et s’il était si différent du fils ou de la fille d’untel, de l’enfant idéal, comment l’aurais-je aimé ?
  • Tu t’imagines un peu si, à quinze ans, il commence à avoir de drôles de fréquentations, s’il touche à la drogue ou si sa vie bascule ?
  • Et puis cette société est brutale, de quoi vivront les enfants d’aujourd’hui ? Entre le chômage, le SIDA, les couples qui se déchirent et l’environnement toujours plus pollué, comment veux-tu élever un gosse selon des valeurs que plus personne ne respecte ?
  • Je n’ai pas envie de me priver de la liberté de faire ce que je veux, quand je veux, d’improviser mes sorties, alors si c’est pour en vouloir au môme quand je ne peux pas, ce ne serait pas juste !
  • Quand je vois mes amies qui en « bavent », entre les cauchemars la nuit, les maladies infantiles, les soucis scolaires, les activités à choisir, les emplois du temps de fou, ça fait réfléchir !
  • Répéter tous les jours pendant des années « brosse-toi les dents », « lave tes mains », « range ta chambre », non, je ne pourrais pas, rien que d’en parler, ça me fatigue !
  • Tu rentres le soir du travail, exténuée, tu as juste envie de t’allonger, de bouquiner ou prendre un bain, mais non, il y a les devoirs à faire, les douches à prendre, la télévision à surveiller, les courses à faire, la lessive à mettre en route… ppppfffff, très peu pour moi. Finalement, j’aime bien ma vie. Et j’ai déjà si peu de temps libre.

On pourrait objecter toutes sortes de contre arguments, là encore, mais que ces motifs nous semblent ou non fondamentalement « justifiés », ils n’en demeurent pas moins fondés pour celles qui les rapportent. C’est pourquoi, en partie, s’occuper d’enfants à temps plein leur est impensable. En avoir près de soi dans des moments choisis, peut, a contrario, être vraiment réjouissant.

Ainsi peut-on aimer les enfants, sans en faire, pour toutes les raisons avancées ci-dessus – qui ne font pas systématiquement référence à l’affection, mais parfois aussi aux contingences matérielles, à une idéologie. Les aimer par intérim reste une source de plaisir, mais cet amour ne suffirait pas pour élever ses propres enfants. Je suis d’autant plus sensible à cette approche que j’ai vu tant de parents malmener leurs enfants alors qu’ils soutiennent par ailleurs les chérir profondément. Mais la question de l’amour est vaste et complexe, il ne s’agit pas ici de le définir, mais juste de relever les paradoxes. Claude Halmos, dans son dernier livre, écrit[1] :

Tout parent normal est supposé aimer son enfant et celui-ci l’aimer en retour. En fait, et toujours de façon impensée, chacun semble persuadé que l’amour vient aux parents en même temps que l’enfant ; qu’il naît dans leur cœur comme le réflexe de lécher son petit vient à la femelle animale qui a mis bas…. Cette conception quasiment mammifère du désir humain ne laisse pas de poser problème.


[1] Halmos Claude – “ Pourquoi l’amour ne suffit pas ” – Nil Editions, page 20

Relation des femmes sans enfant avec les enfants

J’aimerais, ici, tordre le cou à la plus étonnante des idées reçues sur ces femmes qui n’ont pas d’enfant. Malgré leur enfance peu emprunte de bonheur, beaucoup de ces femmes aiment les enfants. Ainsi Emilie Devienne écrit :

« Les raisons du non-désir d’enfant ne se résument pas à une ou deux affirmations trop rapides pour être explicites. A un niveau conscient et dans des sphères plus inconscientes, ce choix est influencé par l’éducation, les valeurs familiales, les expériences amoureuses, le parcours professionnel et le regard que l’on porte sur notre environnement socioéconomique, voire politique ».[1]

La complexité d’un individu (au sein d’une histoire familiale souvent alambiquée) est telle qu’il est bien difficile de comprendre pourquoi une femme n’aura pas d’enfant. Entre conscient et inconscient, désirs et craintes, opportunités et fatalités, chaque femme se construit et tente de faire ses choix au mieux.

Choisir de ne pas faire un enfant, ne signifie pas forcément que l’on n’aime pas les enfants, mais peut-être qu’on préfère ne pas en faire.

Comme le dit Emilie Devienne :

On peut aimer les enfants sans pour autant en créer soi-même. ]…[ C’est une alternative quand la responsabilité de donner la vie et d‘en assumer complètement les conséquences ne nous semblent pas compatibles avec notre histoire, notre passé et notre sensibilité. D’ailleurs nombre de personnes sans enfants font des tantes, des oncles, des belles-mères des beaux-pères, des parrains, des marraines, ou simplement des amies formidables et importants pour les enfants…. des autres. En résumé, les enfants non-stop, nous ne sommes pas très partants, mais, à temps partiel, nous sommes irremplaçables !

Pour ce qui me concerne, j’ai bien souvent entendu dire de la part des amis proches qui m’ont vue jouer avec leurs enfants que je ferais une mère « formidable ». J’ai, par ailleurs, été animatrice une dizaine de fois et, là encore, j’ai réellement aimé des enfants qui m’ont aimée en retour. Autant de moments, d’expériences gratifiantes. Certes. Mais ces enfants-là n’étaient pas les miens, et il était sécurisant de les restituer à leurs parents après un week-end ou un mois de vie commune. Il ne suffit pas de leur raconter une histoire ou de les amener à l’infirmerie d’une colonie de vacances pour se sentir devenir mère. Du moins, pour moi, si ce fut nécessaire pour confirmer que je serais capable d’établir avec des enfants un lien sain et aimant, ce fut insuffisant pour me faire passer le cap de la maternité. Au grand dam de mes amis, justement. Pourquoi cela ?

En disant tu ferais une mère formidable, les amis, sans chercher à faire rentrer dans le moule, concluent pourtant hâtivement. Ils le font au vu de ce qu’ils observent, ignorant ce qui se passe au plus profond de la femme qui s’essaye à prendre soin d’un enfant qui n’est pas le sien : une appréhension invisible à l’œil nu, mais bien présente, tapie au creux du cœur et de l’estomac et qui agit comme un garde-fou. Jouer reste un acte léger, prendre soin peut être un élan naturel et instinctif.

Tout contact avec l’enfant d’un autre, aussi magique ou unique soit-il, n’en reste pas moins un acte temporaire voire éphémère et ne prête pas à conséquence. Ce contact peut être d’une importance capitale, même s’il est épisodique, mais il est loin de la responsabilité du quotidien qui, elle, peut être effrayante. Assurer son bien-être tout en parvenant à lui donner des limites structurantes, tenter d’éviter toute relation fusionnelle sans tomber dans l’indifférence ou une distance trop douloureuse, agir de son mieux pour faire de lui un adulte heureux et responsable à la fois, ne pas paniquer au moindre petit désaccord affectif, au moindre bobo, devant les premières mauvaises notes -j’en passe et des meilleures- autant de sources d’angoisse pour celles qui n’envisagent pas la maternité.

Certains mots d’ailleurs reviennent régulièrement dans les interviews : responsabilité, liberté, avenir, angoisse. Elles veulent garder cette liberté d’agir librement, ne pas être angoissées par l’avenir (le leur et celui de l’enfant) et ne se sentent pas d’affronter autant de difficultés pour assumer toute la responsabilité qu’implique la venue d’un enfant. Pessimisme ou réalisme ? Angoisse de ne pas être parfaite ou lucidité ? Fuite des responsabilités ou clairvoyance ? À chacune son cocktail.

Quand on pense à l’abondance de la littérature spécialisée qui traite de la maltraitance infantile, de la violence conjugale, de la difficulté de vivre en couple, on ne peut s’empêcher de constater un malaise sociétal qui n’incite guère à « se reproduire ». Il existe aujourd’hui des cabinets de psychologues, psychiatres, psychothérapeutes, sophrologues, etc. à chaque coin de rue, pléthore de magazines et de livres qui tentent de fournir une solution à tous les problèmes rencontrés de la conception de l’enfant jusqu’à point d’âge. Autant de sources d’information pour rappeler aux parents qu’il n’y a pas de problèmes sans solution. Que faut-il en déduire ? Que « si vous avez des « problèmes », êtes-vous bien certain(e)(s) d’avoir cherché à le résoudre et d’avoir tout essayé ? » Les parents seraient-ils culpabilisés ? Certainement ! Autrefois, l’enfant était là et il fallait faire avec. Aujourd’hui, s’il est là c’est qu’on l’a voulu, en principe. Alors, il faut l’assumer en serrant parfois les dents. C’est là que le bât blesse.

Tout se passe comme si plus personne ne pouvait s’exprimer sans risquer de tomber à coup sûr sous la coupe d’un jugement.


[1] Devienne Emilie  – « Être femme sans être mère » – Ed. Robert Laffont, page 17

L’histoire des femmes sans enfants

Chaque femme a son histoire, son chemin, sa destinée.

Cependant, je me suis attachée à « vérifier » 3 aspects qui me paraissent déterminants dans le choix de faire ou non un enfant :

  • Le couple parental,
  • La venue au monde de cette femme,
  • L’ambiance familiale dans laquelle elle grandit.

Je précise avant tout que ce qui suit concerne le petit échantillon des femmes que j’ai rencontrées. Il ne peut en aucun cas être généralisable à toutes les femmes sans enfant, mais il peut permettre de bien saisir l’importance de ne jamais chercher à superposer deux histoires, car derrière deux de femmes qui ne deviennent pas mères, se cachent deux destins qui n’ont en commun que le fait qu’elles ne sont pas mères.

Le couple parental :

Peu de mariages des couples parentaux des femmes interrogées étaient fondés sur un amour réciproque profond. Ces unions étaient plutôt formées sur des motifs tels que : une grossesse survenue par accident, une entente très cordiale entre personnes du même milieu social, un dépit amoureux antérieur ou une vie matérielle confortable en perspective, avec, parfois, cependant, une touche d’amour, au tout début de la relation.

Bien que les parents de ces femmes se soient malgré tout « choisis » mutuellement (pas de mariage arrangé ou forcé), presque tous ont divorcé par la suite, ou sont rapidement tombés dans une routine sans joie, sans piment, offrant ainsi un foyer peu chaleureux, dénué d’affection et de démonstration sentimentale. Cela ne constitue pas, en soi, une raison de ne pas faire d’enfant pour la descendance, mais cela jette souvent les bases d’un modèle parental « bancal » pour l’enfant, qui ne sera jamais témoin d’une complicité ou d’une harmonie entre ses parents.

La venue au monde des femmes interrogées :

Vient, un jour, la naissance de l’enfant : presque toutes ces femmes admettent n’avoir pas été désirées, « programmées », attendues. Leurs mères respectives ont gardé l’enfant soit parce que l’IVG n’était pas envisageable, – pour des raisons religieuses ou éthiques- soit parce qu’elles n’ont pas vraiment réfléchi à la question, ou encore parce, la pilule n’étant pas encore en vogue, l’enfant étant là, et bien on le gardait.

La grossesse, n’a pas fait l’objet d’une joie pour elles, pas plus que pour certains pères du reste. Dans quelques cas, cependant, l’enfant est désiré, mais fortement attendu comme un garçon, ce qui ne présage pas d’un accueil enthousiaste à la naissance. Si les parents s’accommodent alors de la surprise, il arrive que la déception ne soit pas dépassée. L’éducation peut s’en ressentir. Les valeurs transmises à l’enfant sont plus axées sur celles communément inculquées aux garçons : sens de l’action, de la logique, préparation à une carrière, autonomie financière.

Ce fut notamment le cas d’une des femmes, cadette d’une sœur aînée, qui était donc d’autant plus attendue comme fils que l’aînée était une fille. Cette seconde déception du père fut pour elle un fardeau très lourd à porter : pas question de jouer à la poupée ou tout autre distraction généralement répandue chez les filles. Non pas du fait d’une interdiction parentale, mais vraisemblablement pour répondre inconsciemment à l’attente du père. La coquetterie ne sera jamais non plus une priorité, ni même une préoccupation mineure. Des vêtements amples et confortables, d’un style classique ou sportswear, sont le style le plus souvent adopté par ces femmes.

La plupart de ces femmes, lorsqu’elles étaient enfants, n’ont pas été spécialement attirées par les poupées, baigneurs, dînettes et autres jeux « communément » adoptés par les filles. Souvent, même les bébés en chair et en os les laissaient indifférentes ou les irritaient, ce qui n’a pas changé par la suite. Ne réduisons pas cependant ces petites filles à ce qu’il est courant d’appeler des « garçons manqués », expression qui suggère un « ratage », un « vice de forme dans la conception ». Ne perdons pas de vue non plus que de nombreuses femmes n’ayant pas joué à la maman sont devenues mères et inversement.

L’ambiance familiale dans laquelle elle grandit :

Le manque de chaleur entre conjoints, dont j’ai parlé précédemment, se retrouve aussi dans la relation parent-enfant, ce qui constitue un motif supplémentaire de ne pas forcément se sentir apte à faire des enfants. Cela est presque toujours le cas avec le père. Quant à la mère, aucune femme interrogée n’a un souvenir agréable de sa relation avec la sienne.

Il en va souvent de même avec le père : on distingue les pères distants, les pères plutôt absents, et les pères dominateurs (plus ou moins violents) avec la mère et ou avec ses enfants.

Presque tous ces couples parentaux ont divorcé avant l’adolescence de la fille. Quand ce ne fut pas le cas, la mésentente a perduré, parfois jusqu’au décès de l’un des conjoints.

Quelque soit l’histoire, aucune personne interrogée n’a, en tout cas, évoqué un couple de parents ouvert, chaleureux et aimant. Les parcours sont apparemment « ordinaires », comme l’on dit de certaines situations familiales quand elles ressemblent à tant d’autres : des millions de personnes n’ont pas été désirées, n’ont pas vraiment été aimées, ont été maltraitées, ont vu leurs parents divorcer, mais feront pourtant des enfants à leur tour. Des parcours, on le voit, pas toujours très gais, certes, mais ils restent assez représentatifs d’enfances ordinaires, comme celles de nombreux enfants devenus parents à leur tour. Un passé ne peut présager d’un avenir, il n’y a pas de règles en matière de procréation. Le mystère reste entier, et chaque parcours est aussi personnel que respectable.

Plus j’écoutais ces histoires, plus j’appréciais la nécessité d’être ouverte, de me garder de tout jugement à l’emporte-pièce grâce à une écoute toujours plus dégagée. Au fur et à mesure des rencontres, mes propres normes ou convictions personnelles s’écroulaient, une nécessité pour une meilleure écoute.

Qui sont les femmes sans enfants ?

Tout d’abord, il convient de préciser que ce paragraphe concerne un échantillon de 15 personnes et ne doit pas être tenu pour représentatif de toutes les femmes sans enfant. Il peut s’en dégager une tendance, mais qui doit être prise avec la plus grande réserve. Cette partie résume les généralités, les tendances globales, qui se dessinent dans une synthèse, mais ne fait pas état de chaque particularité ou exception, sauf si elle est précisée. En d’autres termes, on peut considérer qu’une femme sans enfants se « reconnaîtrait » plus facilement dans le « portrait robot » dont il est question dans ce paragraphe, que dans tout autre description de modèle familial.

Revenons au groupe de femmes que j’ai interrogées : toutes n’ont pas fait le choix délibéré de ne pas avoir d’enfant. Certaines n’en veulent pas, réellement (ou n’en voulaient pas – je parle au passé pour les plus de 45 ans), mais d’autres ne se sont pas posé la question dans ces termes. La vie a tout simplement « fait en sorte » (je cite) qu’elles ne deviennent pas mères.

Donc, soyons prudents face à ces femmes sans enfants, les raisons pour cela étant aussi personnelles les unes que les autres. Sans compter que parfois, elles ne répondent pas clairement. Il ne s’agit pas d’une volonté délibérée d’éluder les questions, mais plutôt d’une difficulté à faire le tri en elles, à clarifier leurs pensées, leurs émotions. Si elles semblent se perdre dans des paradoxes, des interrogations sans réponses ou des propos contradictoires, c’est que la question de la maternité est ballottée entre histoire personnelle et société, entre désir et non-désir, entre rendez-vous amoureux opportun et absence de rencontre, entre rationalisme et instinct.

Les femmes rencontrées étaient âgées de 28 à 60 ans. J’ai aussi interrogé deux femmes n’ayant pas voulu d’enfants, jusqu’au jour où…. Je voulais savoir comment ces femmes étaient passées d’un ferme projet de vie sans enfant, voir d’un non-désir d’enfant absolu, à une vie avec enfant. J’y reviens dans un autre article.

On peut dire qu’il y a une sorte « d’homogénéité » dans la population de ces femmes sans enfants. J’ai noté que dans l’ensemble, ces femmes sont plutôt de gauche et athées, et pour la seule femme qui est catholique croyante, elle n’est pas pratiquante.

Elles font partie de la classe moyenne (institutrice, infirmière, gérante d’une boutique, etc.). La plupart d’entre elles disent que si elles vivent sans enfant, c’est à la fois par choix personnel, mais aussi du fait des circonstances de la vie. Autrement dit, en dehors d’une minorité de femmes qui revendiquent réellement le choix profond et définitif de ne pas faire d’enfant, toutes les autres disent que si elles avaient rencontré l’homme « convenable », elles eurent peut-être eu un enfant. Elles admettent, d’un autre côté, que de nombreux hommes ne sont pas parfaits, mais sont des pères tout à fait “honorables”. Qui est donc l’homme « convenable » pour elles ? C’est un homme qu’elles imaginent comme père et papa[1] à la fois, avec lequel elles ont d’abord créé une relation solide et stimulante, basée sur la confiance et le respect mutuels, puis sur des ingrédients propres à chacune : entente intellectuelle, le plus souvent, mais également objectifs de vie similaires, activités communes, etc.

Or il se trouve que, sauf pour le couple que j’ai interrogé, les femmes dont j’ai recueilli le témoignage sont également célibataires. Elles ont parfois une relation de passage ou plus rarement une relation dans laquelle chacun vit chez soi. Donc, il est intéressant de voir que ces femmes sans enfants sont assez souvent sans attache amoureuse, et n’ont généralement jamais été mariées. Leur seule vie affective n’est pas un long fleuve tranquille. Cet aspect ne favorise pas la venue d’un enfant. Seule une des personnes interrogées a envisagé l’adoption en dehors de toute vie maritale.

Pourquoi, là encore, ne répondent-elles pas à la norme sociale ? Sont-elles trop exigeantes ? Ont-elles eu un modèle de couple parental trop déplorable ? Ont-elles peur de l’engagement ? Que s’est-il passé pour chacune d’elle ?

Les questions, posées autour de leur naissance et de leur enfance, apportent des réponses parfois tranchées et claires, parfois contradictoires ou floues.

En tant que conseillère conjugale, ce qui m’importait, étaient les différences d’un parcours à l’autre : en effet, il convient de ne pas mélanger les histoires, de ne rien projeter, d’éviter tout amalgame et confusion entre deux histoires, toujours dans l’objectif premier de garder une écoute personnalisée.

C’est ce qui permet d’entendre une femme qui souhaite une IVG, par exemple, alors qu‘elle a 35ans et n’a jamais eu d’enfant, ou une jeune femme de 18 ans se réjouir d’une grossesse qu’elle décide de mener à terme. C’est une écoute qui exige de faire abstraction non seulement des modèles induits par la société, mais également de son histoire personnelle.


[1] Le père, qui représente pour elle l’homme faisant preuve d’autorité, ne fuyant pas ce côté « ingrat » de la paternité, et le papa, l’homme qui donne de la tendresse et fait des câlins.

Ma rencontre avec des femmes sans enfant

Interroger ces femmes qui n’ont pas voulu d’enfant, c’était plonger au cœur de leur vie intime, et voyager dans le temps avec elles. Les histoires ne se ressemblent jamais et parfois, c’est à peine si l’on trouve des points communs. Ces femmes sont venues au monde dans des circonstances absolument différentes, pour des motifs totalement différents, pour affronter des destins et des vies tout aussi différents. Un point commun, cependant, les unit : elles n’auraient, à leur tour, jamais un ventre rond.

Tout au plus occupé quelques semaines, leur utérus ne sera jamais le lieu où un petit être débutera son incarnation avant de rejoindre la communauté des Hommes. Pourquoi ? Peut-on répondre à cette question ? Les facteurs sont en réalité multiples dont voici quelques pistes :

  • Quels liens ces femmes sans enfant ont-elles tissés avec leur mère ?
  • Avec leur père aussi ?
  • Quelle image du couple ont-elles pour référence ?
  • Comment vivent ces femmes dans notre société ?
  • Vivent-elles en ménage ?
  • Avec quels hommes ?
  • Quel est leur parcours professionnel ?
  • Le droit à l’IVG a-t-il eu sa place dans leur vie ?
  • Quel regard ont-elles sur l’enfant ?

J’ai interrogé 15 femmes et un couple. Ces entrevues ont représenté un travail long et prenant, mais passionnant. Je remercie d’ailleurs ces personnes de m’avoir accordé ce privilège.