L’instinct maternel…. pas toujours visible

Un autre « concept » largement véhiculée est celui d’un instinct dit maternel. Je l’exprime ainsi car je le compare volontiers à l’intuition dite féminine. En ce sens que, ni l’un ni l’autre ne me semblent propres aux femmes. Il n’y a pas, selon moi, des comportements propres et spécifiques aux seules femmes ou aux seuls hommes.

On a tous, un jour, entendu parler d’une femme qui met au monde un enfant, mais n’éprouve pas, à son égard, des sentiments de tendresse et d’amour, ce que certains disent venir de l’instinct maternel.

Le petit Robert définit l’instinct comme :

Une « tendance innée et puissante, commune à tous les êtres vivants ou à tous les individus d’une même espèce » ou encore une « tendance innée à des actes déterminés (selon les espèces), exécutés parfaitement sans expérience préalable et subordonnés à des conditions de milieu »[1].

Or on le voit, si dans le règne animal on peut parler d’instinct, chez l’Homme, que je distingue de l’animal, ce qui reste d’instinct se trouve peut-être dans la recherche du sein pour téter, dans l’élimination des déchets, dans l’alternance sommeil/éveil. Pour le reste, s’il y a des réflexes liés à l’éducation reçue, il y a dans ses comportements bien moins de « nature » que de « culture ».

Les femelles mammifères d’une espèce s’accouplent avec les mâles (sauf exception). En revanche, pour les humains, les couples se forment sur des critères conscients et inconscients, et même si on ne peut expliquer pourquoi un couple fait un, deux, trois enfants ou plus, il en a le choix, comme il a le choix de ne pas en vouloir et de s’y tenir, malgré l’environnement et malgré la nature elle-même.

Peut-être y a-t-il de l’instinct en nous, lorsque nous volons au secours d’une personne en danger ou lorsque nous cherchons à fuir face à un adversaire agressif, mais nous restons des êtres humains, et, de ce fait, nous nous distinguons des autres mammifères. Donc je ne peux penser que la décision de faire un enfant procède de l’instinct.

L’instinct maternel est, pour ma part, une expression abusive, et je rejoins Victor Hugo qui disait : « l’instinct maternel est divinement animal, la mère n’est plus une femme, elle est femelle ». Nourrir, protéger, prendre soin de sa progéniture : chez l’animal, ces actes sont innés, pour la survie de l’espèce : la femelle met bat, lèche le nouveau-né et parfois avale le placenta pour que son odeur n’attire pas les prédateurs. L’une cache ses petits dans un terrier. L’autre s’éloigne du nid pour chercher les insectes de la prochaine béquée.

Même si on décidait que l’instinct maternel, chez l’Homme consistait à :

– aimer d’emblée son enfant (ou au moins dans les premières semaines après sa naissance),

– le nourrir,

– le protéger et

– en prendre soin physiquement, émotionnellement, matériellement,

alors, déjà, je dirais qu’il n’y a pas d’instinct maternel. Il y a les mères qui savent aimer leur(s) enfant(s), et celles, qui, parce que leur amour est enfoui, inexprimé, n’y parviennent pas.

Après mes interviews, j’ai été plus que jamais convaincue que l’instinct maternel n’existait pas, pour avoir entendu une jeune femme me dire le dégoût qu’elle éprouvait envers les enfants : voici comment elle en parlait :

Un môme, ça gueule, ça bouffe, ça chie, bref, ça m’a toujours répugnée ! Je les fusille même du regard pour ne pas qu’ils m’approchent !”. Comme quoi, entre ‘être une femme’ et ‘avoir l’instinct maternel’, l’étendue s’apparente à un gouffre.

Les experts qui se sont d’ailleurs penchés sur la question de savoir ce que ressent une mère à la naissance de son bébé se contredisent. Il apparaît que cela varie d’une femme à l’autre, d’un enfant à l’autre. Pourtant, plus de 80 000 femmes, chaque année (semble-t-il), n’éprouvent pas cet amour supposé, alors remplacé par de la honte, du silence et de la culpabilité. Elles ressentent un terrible désarroi parce qu’elles ne parviennent pas à se connecter à l’amour qu’elles sont « censées » ressentir. Ce décalage inavoué laisse ces mères souvent désorientées.

L’amour maternel bloqué, cadenassé, provisoirement ou à vie, montre bien que l’instinct maternel ne peut être mis en avant comme la panacée. En matière de sentiment, d’instinct ou d’amour maternel, on rencontre, là encore, tous les cas de figure. Les femmes qui disent n’avoir pas cet « instinct maternel » n’ont pas une vie sans amour, elles ont juste une vie sans enfant.

Mères aimantes, mères moins aimantes, sentiment maternel exacerbé ou inexistant, tout existe là encore… S’agissant simplement de l’instinct maternel, ou de l’amour maternel, les mères respectives des femmes interviewées n’ont pas eu pour elles cet amour nourrissant ou bien il a été trop peu manifesté. Dans certains cas, c’est une raison nécessaire et suffisante pour ne pas vouloir d’enfant soi-même. « Comment donner à son enfant ce que l’on n’a pas connu, ce que l’on n’a pas reçu ? » C’est d’ailleurs la question posée par beaucoup de femmes perdues, qui sont devenues mères alors qu’enfant, elles avaient perdu leur mère ou qu’elles n’avaient pas reçu d’elle la moindre manifestation d’amour ou de chaleur.

Il est possible aussi que la médicalisation à outrance des accouchements ne favorise pas le déclenchement de cet élan de la mère pour son nouveau-né. Le bébé, ôté au ventre maternel, est nettoyé, aseptisé, débarrassé de toute odeur et restitué à sa mère après ce brutal arrachement.

La part de l’acquis et de l’inné reste une éternelle source de débats car, au fond, ce qui se joue entre la mère et l’enfant est subtil, invisible. Les échanges passent par les regards, par le sein, par le toucher, l’odorat, autant de déclencheurs inattendus pour les mères. J’ai en mémoire le témoignage d’une mère de trois enfants qui me disait : « quand j’allais voir mes enfants, à la pouponnière, ils étaient là, au milieu des autres, je les regardais, sans ressentir pour eux quelque chose de différent des enfants d’à côté. C’est quand chacun de mes enfants fut contre moi, pour lui donner le sein, que j’ai créé un lien avec lui, différent du lien avec les autres enfants. »

Je dirais, pour conclure, que l’on n’a pas le droit de mettre l’instinct maternel en avant pour exiger d’une femme l’impossible (faire un enfant) ou pour en faire un monstre si en tant que mère elle n’éprouve pas cet amour maternel.

Jusqu’où pourrions-nous aller au nom de l’instinct ?

Réduire une femme à ses instincts maternels, ne serait-ce pas comme réduire un homme à ses instincts de chasseur. La femme à l’allaitement et l’homme à sa caverne ?


[1] Le petit Robert, 1ère et 2ème définitions