Relation des femmes sans enfant avec les enfants

J’aimerais, ici, tordre le cou à la plus étonnante des idées reçues sur ces femmes qui n’ont pas d’enfant. Malgré leur enfance peu emprunte de bonheur, beaucoup de ces femmes aiment les enfants. Ainsi Emilie Devienne écrit :

« Les raisons du non-désir d’enfant ne se résument pas à une ou deux affirmations trop rapides pour être explicites. A un niveau conscient et dans des sphères plus inconscientes, ce choix est influencé par l’éducation, les valeurs familiales, les expériences amoureuses, le parcours professionnel et le regard que l’on porte sur notre environnement socioéconomique, voire politique ».[1]

La complexité d’un individu (au sein d’une histoire familiale souvent alambiquée) est telle qu’il est bien difficile de comprendre pourquoi une femme n’aura pas d’enfant. Entre conscient et inconscient, désirs et craintes, opportunités et fatalités, chaque femme se construit et tente de faire ses choix au mieux.

Choisir de ne pas faire un enfant, ne signifie pas forcément que l’on n’aime pas les enfants, mais peut-être qu’on préfère ne pas en faire.

Comme le dit Emilie Devienne :

On peut aimer les enfants sans pour autant en créer soi-même. ]…[ C’est une alternative quand la responsabilité de donner la vie et d‘en assumer complètement les conséquences ne nous semblent pas compatibles avec notre histoire, notre passé et notre sensibilité. D’ailleurs nombre de personnes sans enfants font des tantes, des oncles, des belles-mères des beaux-pères, des parrains, des marraines, ou simplement des amies formidables et importants pour les enfants…. des autres. En résumé, les enfants non-stop, nous ne sommes pas très partants, mais, à temps partiel, nous sommes irremplaçables !

Pour ce qui me concerne, j’ai bien souvent entendu dire de la part des amis proches qui m’ont vue jouer avec leurs enfants que je ferais une mère « formidable ». J’ai, par ailleurs, été animatrice une dizaine de fois et, là encore, j’ai réellement aimé des enfants qui m’ont aimée en retour. Autant de moments, d’expériences gratifiantes. Certes. Mais ces enfants-là n’étaient pas les miens, et il était sécurisant de les restituer à leurs parents après un week-end ou un mois de vie commune. Il ne suffit pas de leur raconter une histoire ou de les amener à l’infirmerie d’une colonie de vacances pour se sentir devenir mère. Du moins, pour moi, si ce fut nécessaire pour confirmer que je serais capable d’établir avec des enfants un lien sain et aimant, ce fut insuffisant pour me faire passer le cap de la maternité. Au grand dam de mes amis, justement. Pourquoi cela ?

En disant tu ferais une mère formidable, les amis, sans chercher à faire rentrer dans le moule, concluent pourtant hâtivement. Ils le font au vu de ce qu’ils observent, ignorant ce qui se passe au plus profond de la femme qui s’essaye à prendre soin d’un enfant qui n’est pas le sien : une appréhension invisible à l’œil nu, mais bien présente, tapie au creux du cœur et de l’estomac et qui agit comme un garde-fou. Jouer reste un acte léger, prendre soin peut être un élan naturel et instinctif.

Tout contact avec l’enfant d’un autre, aussi magique ou unique soit-il, n’en reste pas moins un acte temporaire voire éphémère et ne prête pas à conséquence. Ce contact peut être d’une importance capitale, même s’il est épisodique, mais il est loin de la responsabilité du quotidien qui, elle, peut être effrayante. Assurer son bien-être tout en parvenant à lui donner des limites structurantes, tenter d’éviter toute relation fusionnelle sans tomber dans l’indifférence ou une distance trop douloureuse, agir de son mieux pour faire de lui un adulte heureux et responsable à la fois, ne pas paniquer au moindre petit désaccord affectif, au moindre bobo, devant les premières mauvaises notes -j’en passe et des meilleures- autant de sources d’angoisse pour celles qui n’envisagent pas la maternité.

Certains mots d’ailleurs reviennent régulièrement dans les interviews : responsabilité, liberté, avenir, angoisse. Elles veulent garder cette liberté d’agir librement, ne pas être angoissées par l’avenir (le leur et celui de l’enfant) et ne se sentent pas d’affronter autant de difficultés pour assumer toute la responsabilité qu’implique la venue d’un enfant. Pessimisme ou réalisme ? Angoisse de ne pas être parfaite ou lucidité ? Fuite des responsabilités ou clairvoyance ? À chacune son cocktail.

Quand on pense à l’abondance de la littérature spécialisée qui traite de la maltraitance infantile, de la violence conjugale, de la difficulté de vivre en couple, on ne peut s’empêcher de constater un malaise sociétal qui n’incite guère à « se reproduire ». Il existe aujourd’hui des cabinets de psychologues, psychiatres, psychothérapeutes, sophrologues, etc. à chaque coin de rue, pléthore de magazines et de livres qui tentent de fournir une solution à tous les problèmes rencontrés de la conception de l’enfant jusqu’à point d’âge. Autant de sources d’information pour rappeler aux parents qu’il n’y a pas de problèmes sans solution. Que faut-il en déduire ? Que « si vous avez des « problèmes », êtes-vous bien certain(e)(s) d’avoir cherché à le résoudre et d’avoir tout essayé ? » Les parents seraient-ils culpabilisés ? Certainement ! Autrefois, l’enfant était là et il fallait faire avec. Aujourd’hui, s’il est là c’est qu’on l’a voulu, en principe. Alors, il faut l’assumer en serrant parfois les dents. C’est là que le bât blesse.

Tout se passe comme si plus personne ne pouvait s’exprimer sans risquer de tomber à coup sûr sous la coupe d’un jugement.


[1] Devienne Emilie  – « Être femme sans être mère » – Ed. Robert Laffont, page 17

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