Les Zitellas de Sicile

En France, la société admet relativement qu’une femme n’ait pas d’enfant. Si le spectre de la culpabilité rôde près d’elle, le plus souvent c’est lié au fait qu’elle n’a pas choisi et/ou qu’elle a un peu de mal à l’assumer. Ce sentiment de culpabilité apparaît le plus fréquemment au cours de rencontres avec d’autres femmes devenues mères ou souhaitant ardemment le devenir. Si les femmes sans enfants suscitent parfois méfiance, admiration ou irritation, elles laissent le plus souvent leur entourage indifférent ou embarrassé. Je le redis, elles ne sont toutefois ni des parias, ni des monstres de foire. Ce n’est pas le cas de très nombreux pays, européens même, dont l’Italie, pays frontalier qui plus est.

Voici en effet, une étude de Sandra Carmignani[1]. Son rapport intitulé « Les femmes célibataires de Gangi,
 ou quand la marge côtoie la norme« , fait un état des lieux du regard sur les femmes non mariées et sans enfant de ce village Sicilien, dont voici un court extrait pour le moins surprenant :

« Les femmes interviewées avec ou sans enfants font l’unanimité lorsqu’elles définissent ce que devrait être une femme et son rôle dans la société. Il apparaît, pour elles, évident qu’une femme sans enfants est une femme incomplète, ceci en insistant unanimement sur la naturalité reproductrice de la femme. Une nette hiérarchie se décèle dans les discours sur la position sociale de la femme par rapport à son statut social et privé. Une femme devrait idéalement être fiancée, puis mariée et ensuite avoir des enfants.

Une femme mariée sans enfants arrive au second rang de l’accomplissement social et surtout “naturel” de la femme. Une femme non mariée, et donc sans enfants, est reléguée dès lors, au dernier rang. La zitella est le terme péjoratif pour désigner ces femmes qui ont presque ou déjà passé l’âge de se marier. ]…[ Ce mot, considéré comme une insulte, n’est jamais prononcé devant l’une d’elles. L’âge limite évalué pour un mariage est assez variable, mais généralement, il se situe à trente ans où la situation devient plus qu’urgente ; au-delà de quarante ans, celle-ci est quasiment désespérée. La condition de vieille fille est loin d’être enviée et les propos tenus à leur sujet dénotent un mélange de gêne, de pitié et d’ironie.

Dans une société où la figure de la mère est hautement valorisée, où un couple ne devient famille que lorsque advient la naissance d’un enfant, la zitella, dans ces conditions, ne peut que déranger et susciter un malaise. C’est ce qui se dégage de discussions autour, notamment, du sujet de l’infertilité et de l’adoption. Ces femmes sont décrites comme “des femmes incomplètes, des moitiés de femmes, non réalisées, vides, des vies gâchées, une condition malheureuse, contre-nature”.

Considérées de cette manière, les zitelle ne sont pas dupes, et le savent évidemment. Elles savent aussi que le respect qu’elles ne reçoivent pas de la société qui les entoure dépend quasi exclusivement de l’absence de mari et du non-accomplissement de la maternité. ]…[ Paradoxalement, ces femmes semblent, tout de même, tenir à leur indépendance, et avouent qu’elles auraient du mal à se retrouver dans la vie conjugale quotidienne. Toujours par un discours très critique et probablement relevant d’un processus de rationalisation de leur condition, les femmes célibataires rencontrées comparent sans cesse les couples et les familles qui les entourent avec leur idéal et y retrouvent rarement les occasions de regretter leur choix ou position.[2]« 


[1] Anthropologue culturelle et sociale à l’Institut de sociologie et d’anthropologie de l’Université de Lausanne

[2] http://www.ethnographiques.org/2003/Carmignani.html#1 Sandra Carmignani “ Les femmes célibataires de Gangi, 
ou quand la marge côtoie la norme ”

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